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Short E-Story : Business as usual ? Une Histoire vue d’en bas

1. le triomphe du matérialisme (novembre 2016)

par Benjamin Auguste

 

 

Le triomphe historique du matérialisme : un paradoxe ? Si comme l’a dit Warren Buffet, dans la lutte des classes, la classe affaires a gagné par KO, il est un autre vainqueur, « clandestin » si l’on peut dire, c’est la taupe, que nous appellerons Marx pour éclairer la galerie. Si le capitalisme a toujours au moins deux coups d’avance dans ce jeu de dupes, bien loin de démentir la lutte des classes, ce mécanisme en confirme la virulence.

Cet état de fait est aussi la confirmation à de nombreux niveaux du triomphe du matérialisme historique, comme du matérialisme entendu en son sens le plus courant. Bien sûr, quelques « voiles pudiques » peuvent amener à penser que le système dominant est le parti de ceux qui vénèrent Dieu, sous des formes d’ailleurs assez variées, voire opposées : cette vision serait très spirituelle, si elle n’était que le reflet inversé du théâtre d’ombres qu’a su mettre en place le système dominant, sachant jouer à la perfection des outils de la religion, de la communication, et de ce qu’on appelle généralement la culture : la « superstructure » n’a jamais été aussi bien utilisée par la classe dominante, sous ses avatars contemporains, que dans la période actuelle. Il n’est pas jusqu’à Nicolas 1er qui n’ait fondé sa stratégie gagnante sur Gramsci-si ! (s’il n’en a surement rien lu en entier, il en a tiré le « concept opératoire », dans une stratégie utilitariste qui est une des formes gagnantes du dit matérialisme) et au passage aussi a fait les poches à Edgar Morin. Notons d’ailleurs que ce spécialiste des « détournements de fond » s’est aussi récemment approprié la notion de « collectif » pour aligner NKM : Nicolas comme apôtre du collectif, ça donne une idée de la transmutation de l’or en plomb qu’il pratique depuis des années jusqu’à son joli coup de bonneteau avec « Les Républicains ».

La « classe dominante» a même presque réussi à se passer du vieil opium du peuple en lui proposant des produits de synthèse plus élaborés et surtout plus rentables. La caverne de Platon semble une allégorie plus que jamais d’actualité. Dans la caverne, le monde des opinions, reflet du dehors, des cinq étoiles, des idées…

Le para-doxe, c’est ce qui va à l’encontre de l’opinion : le marxisme semble enterré… et l’œil est dans la tombe. En parallèle au renforcement considérable des moyens de destruction et de répression dont elle a su se doter, l’accaparement des moyens de contrôle des cerveaux par la classe affaires n’avait jamais atteint un tel niveau et tout indique que ce n’est pas fini. La télévision est passée, en quelques décennies, d’un stade artisanal à un stade suprême de conditionnement collectif, à tel point qu’elle est aujourd’hui en voie de dépassement et d’obsolescence comme la plupart des outils techniques du siècle précédent. Le « toujours plus » et le toujours mieux semblent sur ce plan, ouvrir des horizons quasi galactiques…De la colonisation de l’espace aux nanotechnologies (le Diable se cachant, lui, dans les détails), la conquête s’étend de l’infiniment grand à l’infiniment petit : no limit ! Triomphe de la science ? Si « ce sont les hommes qui font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font » (Marx), assurément ce sont les scientifiques qui font la science, mais d’autres savent mieux qu’eux la science qu’ils font…

On peut donner quelques illustrations du triomphe de la taupe, que l’on croit à tort malvoyante, mais qui est visionnaire parce qu’elle voit ce qui se passe en dessous de la surface des choses. Il suffit de prendre un par un quelques concepts du talpidé pour en voir la matérialisation florissante.

« Accumulation du capital » : faut-il entrer dans le détail des comptes ? Le capitalisme à la papa est regretté par les travailleurs : on connaissait son patron, on pouvait même le combattre. Les actionnaires n’ont pas de visage : pas vu, pas pris. On a l’âge d’or de ses moyens.

« Fétichisme de la marchandise » disait-il il y a bientôt deux siècles : est-il besoin de développer beaucoup ? Nul besoin d’avoir fait de longues études d’économie ou de psychologie sociale : le plus riche comme le plus pauvre en vivent quotidiennement les deux faces, la consumation comme le manque : triomphe de la marchandise, plénitude du vide, remplissage des caisses. La marchandisation du vivant s’était emparée des corps dans la grande machine industrielle. Dans nos pays dits développés, la dernière industrie florissante est l’industrie hospitalière. Le travailleur est devenu un coût exorbitant ici : un corps dépendant est beaucoup plus « profitable ». La marchandise a su élargir son champ en rentabilisant le corps des vieux, sans parler de la privatisation des semences, de l’eau… pour l’air, c’est dans les tuyaux. Pour les cerveaux, c’est fait.

« Aliénation » ? Peut-être cela mériterait quelques lignes, tant cette notion semble aujourd’hui oubliée, ce qui signe ici son apothéose. En effet, dans les premières décennies du capitalisme, on pouvait parler d’aliénation puisqu’elle était en construction et qu’elle était donc encore consciente et conscientisée. Aujourd’hui, il n’est plus guère utile d’en parler puisqu’elle est en voie d’achèvement. Les entreprises sont même passées à la mode de l’Ethique : c’est très vendeur. Cela fait penser à cette vieille maxime russe : « c’est quand il n’y a plus de vodka qu’on parle de la vodka ».

Il n’y a plus d’ouvriers ? Certes, bien des choses ont changé : la dispersion des activités, l’individualisation des tâches, l’externalisation des productions de masse concourent à leur disparition en tant que classe : « en soi », peut-être, « pour soi », sûrement, pour les autres définitivement. Là encore, confirmation d’un concept marxiste. Les ouvriers, en tout cas chez nous, sont surtout devenus invisibles. Le peuple ne fait plus peur : « sans dents », il ne peut même plus y glisser le couteau. Des « syndicalistes » ( ?) en viennent à caser les chômeurs dans la catégorie « lumpen », ceux qui viennent des lieux de bannissement : une main-d’œuvre jetable, n’est-ce pas la définition du prolétariat ? Ce ne sont pas les illettrés qui font la littérature, (Eddy Bellegueule ou le Retour à Reims de Didier Eribon en sont, en creux, l’illustration) ni les pauvres ou les Grecs qui fixent les règles de l’économie ; ce ne sont pas non plus les ouvriers qu’on voit à la télévision ou qu’on entend à la radio (la suppression de « La-bas si j’y suis », au titre prémonitoire à cet égard aussi, signe la destruction d’un des derniers jardins publics de cette espèce menacée) : ce ne sont pas les vaincus qui écrivent l’histoire et les monuments aux morts des boucheries de 14-18 commémorent la victoire du silence des pantoufles. Ce sont les Népalais (déjà 382 morts fin 2014) qui construisent les stades au Qatar et les esclaves qui ont bâti les pyramides où ce ne sont pas que vingt siècles qui nous contemplent… Mais nous, qui sommes censés être vivants, du moins le croyons-nous, qu’y con-templons-nous ? Les temples du pouvoir devant lesquels on doit se prosterner : le signe de la prière est celui de la soumission. Pouvoir implique servitude. C’est quand nous sommes couchés qu’ils paraissent grands.

La taupe ne pouvait pas connaître le football : comme elle aimerait ce jeu ! Jusqu‘au triomphe des villes bourgeoises sur les villes de mineurs et à la prolétarisation dorée de leurs figurants : le prolétaire, dans l’acception traditionnelle, c’est celui qui n’a que ses bras : comment doit-on appeler celui qui n’a plus besoin de ses bras ni de sa tête, mais seulement de ses pieds pour vivre ? Passage en dribble d’homo erectus à Néo-bipède en short, qui fait un petit pont à homo sapiens.