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Article de Solidaridad Obrera en 2007

A propos de Juan Garcia Oliver, un article de "La Soli" ( Solidaridad Obrera, n° spécial en 2007) traduit par Violette Alvarez-Marcos (août 2013)

 

Soixante-dixième anniversaire de la Révolution, événement à l'origine de « El eco de los pasos » de Garcia Oliver Caries Sanz. 

Depuis la première édition de « El eco de los pasos », trois décennies se sont presque écoulées. Elle est épuisée depuis quelques années et j'ai rencontré plusieurs personnes (acrates dissimulés, chercheurs, étudiants, professeurs, vieux militants, etc.) à la recherche en librairie et chez les bouquinistes, d'un exemplaire, à n'importe quel prix et même en mauvais état. En effet, il ne s'agit pas d'un livre quelconque de mémoires mais des « Mémoires » comme il a été qualifié même par ses détracteurs. Il est possible que cela soit le seul ouvrage de mémoires sur le mouvement révolutionnaire espagnol, si on le compare à ceux des militants cénétistes historiques (Federica Montseny,  Diego Abad de Santillan, Ricardo Sanz, etc.) qui n’amènent rien de plus que nous ne sachions déjà. Or, il paraît étrange que lors de la parution du livre 1978, il ait été aussi mal accueilli par les militants les plus connus du mouvement libertaire ainsi que par toute la presse confédérale très abondante à ce moment-là. Un examen de ces journaux nous permet de recenser au mieux trois ou quatre articles qui le concernent, c'est à dire pas grand chose, à l'exception du dossier que lui consacra la revue alors influente « Historia libertaria » dans son numéro 4 de mars/avril 1979. Une des premières remarques à faire quant à « El eco de los pasos » est qu'il fut rédigé par Garcia Oliver alors âgé de 78 ans, sans pratiquement aucune documentation -si ce n'est le nécessaire pour combler les trous de mémoire-, à l'exception de ce qui a trait à son étape mexicaine. Voilà pourquoi Garcia Oliver commet des erreurs, que l'on peut comprendre, quant à certains lieux ou dates. Mais je tire mon chapeau devant sa prodigieuse mémoire et la passion dont il fait preuve et qui traverse le lecteur, page après page, lorsqu’il raconte ses expériences. La seconde remarque porte sur la grande capacité qu'il montre en tant qu 'écrivain, à faire un récit détaillé, alerte, agréable à lire et facile à comprendre. Il est temps de rendre hommage ici à l'excellent travail de correction réalisé par son éditeur José Martinez, âme et fondateur de la maison d'édition Ruedo iberico. Une troisième remarque réside dans ce qu'il dit et bien entendu dans ce qu'il ne dit pas. Garcia Oliver n'a pas voulu occulter tout ce qui jusqu'alors avait été censuré même par les propres anarchistes ou traité de façon obscure dans l'histoire de la CNT. En définitive, il ne se tait pas pour critiquer les mythes et les martyrs de l'anarchisme. Le fameux plénum des Locales et Régionales de la CNT du 23 juillet 1936 en est un bon exemple. Ne cherchez pas les comptes rendus, vous ne les trouverez pas . Certains ont pris soin d’empêcher leur parution. Même dans l'histoire « officielle » de la CNT de José Peirats éditée en exil, nous n'en avons pas trouvé trace. Pourquoi ? Entre « s'emparer de tout » et « collaborer », on a choisi cette dernier position. Comment est-il possible que le Congrès de Saragosse se prononce pour la mise en place du communisme libertaire et deux mois après, on y renonce au profit de la collaboration avec la Généralité et peu après avec le Gouvernement central. C'est cet événement qu'aborde Garcia Oliver dans ses mémoires et ce qu'il nous dit, après des années et des années d'activité, c'est qu'à l'heure de mettre en place l'ordre révolutionnaire et devant la décision la plus importante et transcendantale de l'histoire de la CNT, on décida, au nom d'on ne sait quels « principes anarchistes », de prendre un chemin qui conduisit non seulement à la contre révolution, comme prévu, mais aussi à la perte de la guerre et de la révolution. Cette catastrophe monumentale resta occultée en partie grâce à « l 'œuvre constructive » de la base confédérale qui désobéissant, se lança dans la collectivisation de la terre et la socialisation de l'industrie.

L'importance de cet événement révolutionnaire tient au fait qu'il allait déterminer l'avenir de la confédération. Garcia aborde ce thème sans masques, sans accuser quiconque, dénonçant cependant  la tendance libérale, petite-bourgeoise, de certains dirigeants, en particulier ceux qui tournaient autour du dénommé « comité acratie ». Au cours des années, plusieurs historiens et militants de la CNT ont abordé ce thème, alléguant qu'à ce moment-là on ne pouvait peser sereinement tous les arguments favorables ou non à cette résolution. Il est évident que le fascisme était déjà là, pesant de tout son poids et que, comme le dit Peirats, Garcia Oliver avait déjà pointé du doigt le dilemme « ou le communisme libertaire, identique à la dictature anarchiste, ou la démocratie signifiant la collaboration ». Le temps semble suspendu puisque nous continuons encore à spéculer sur le même événement. Le livre décrit un moment de l'histoire de la CNT et du mouvement ouvrier des années vingt et trente, récit peuplée de destins individuels,d'enseignements, d'anecdotes, mais surtout, comme nous le rappelle Rafael de Iniesta « d'une façon d'être, d'agir et de se confronter à la vie », c'est-à-dire de mettre en pratique une idéologie, ici l'anarcho-syndicalisme, non comme une théorie mais comme le projet social d'une société alternative que Garcia Oliver a voulu décrire comme possible. Comment ? A travers un récit du quotidien, au jour le jour. Le livre est teinté d'une tonalité aigre-douce, certains ont pu parler d'aigreur, et il montre un profond ego. Cet égotisme transparaît à plusieurs moments cruciaux du livre, minimisant au passage le rôle des autres. En lisant « El eco de los pasos », il faut savoir séparer le narcissisme de Garcia Oliver de son rôle en tant que travailleur autodidacte, de son orgueil en tant que travailleur intellectuel désireux de démontrer à la bourgeoisie qu'il «  n'est nécessaire ni d'être un bourgeois pour être intelligent ni d'être hypocrite et fausse comme elle l'est ». Cette génération qui par malheur s'acheva en 1939 s'affronta au pouvoir en vue de la création d'une société nouvelle et comme le raconte Garcia Oliver, elle sut profiter des circonstances pour faire la révolution, sûre qu'elle était de la mener à bout.

La violence est un des thèmes importants abordé dans le livre. Tabou dans d'autres mémoires, ce sujet est analysé par Garcia Oliver qui en montre des aspects particuliers : à la fois il trace le portrait de toute une génération et en même temps, il décrit des valeurs qui n'existent plus aujourd'hui. Le travail sur ce thème emporte la conviction de tous ceux qui ont toujours dit que la violence s'était exercée en marge de la CNT et était, le plus souvent, le fait de « groupes violents ». Ce que l'auteur veut nous dire c'est que la CNT ne faisait l'apologie ni du terrorisme ni du « pistolerisme » mais agissait pour défendre la classe ouvrière et se protéger elle-même évidemment. L'exécution de Dato, chef du Gouvernement, décidée lors du Plénum régional de la CNT de Catalogne est un exemple donné par Garcia Oliver. L'auteur nous raconte aussi les actions de groupes comme « Les Solidaires » qui avaient reçu l'aval de syndicats, de fédérations locales et régionales. A ce propos, il suffit de rappeler que le « comité d'action » qui approuva ces actions était constitué de réformistes connus : Pestana, Peiro, Pinon et Marco. Comme cela a été dit à maintes reprises, la réponse à la violence de l'état et du patronat, fut une démarche « organique ». Autre point conflictuel du livre, la dénommée « gymnastique révolutionnaire » présentée par Garcia Oliver qui défend les tactiques et les stratégies définies par la CNT. L'exemple le plus connu est celui du 8 janvier 1933, considéré comme un échec par la CNT elle-même. Ces manifestations de « gymnastique révolutionnaire », selon moi, ne tombèrent pas dans les oubliettes et montrèrent des résultats dans les rues de Barcelone le 19 juillet 1936. Autre thème abordé dans le livre, les relations entre la FAI et la CNT. A maintes reprises ce sujet a été l'objet des critiques des historiens défavorables à l'anarchisme, qui remettaient en cause l'idée d'une CNT dominée par la FAI. Garcia Oliver nie cette situation et sa tendance « anti-organisationnelle » explique qu'il ne l’intègre qu'en 1933. Depuis longtemps, Peirats a dit  que « certaines personnalités qui parlaient au nom de la FAI eurent plus d'influence que nous qui la représentions officiellement ». Il fait naturellement référence à Ascaso, Durruti et Oliver. Pour l'auteur de « El eco de los pasos » le faisme était un principe vital, une disposition idéologique et non une adhésion formelle à une organisation ; ce qui permet de dire que « la FAI échoua totalement ». Luis Andres Edo qui, pendant la période d'exil, eut l'occasion, à plusieurs reprises, de rencontrer Oliver, pense qu'une des plus importantes caractéristiques de son ouvrage réside dans la lecture qui « nous facilite la découverte des profondes différences qui existaient au sein de la CNT et de la FAI. Je ne fais pas référence aux ruptures structurelles mais à une chose plus importante  : les affrontements internes de militants, non seulement à l'intérieur de la structure, mais aussi dans le « Groupe d'affinité» comme « Nosotros ». Au point qu'après le 19 juillet, c'est profondément divisés que les militants abordèrent l'heure de la vérité. Devant cette évidence, il ne serait pas absurde de se demander si cette division ne fut pas la cause de la déviation. Dans ce cas,  cette division a-elle été accentuée par la structuration organique de l'Anarchisme ? ».

Garcia Oliver aborde beaucoup d'autres thèmes comme son passage dans le « Comité de Milices », certainement dissous car il était allé trop loin. Cet épisode est encore peu étudié de façon approfondie; l'autre thème porte sur la collaboration gouvernementale de la CNT-FAI qui, selon Garcia Oliver, se fit en dehors de lui, et les événements de mai 1937, insuffisamment éclairés dans le livre. Selon l'opinion toujours pertinente d'Octavio Alberola « la collaboration gouvernementale fut une contradiction idéologique et une erreur évidente puisque ce sacrifice n'empêcha pas la défaite ». La grande question restée en suspens dans le livre et qu'Alberola se pose aussi, est de savoir si la CNT et la FAI étaient en mesure d'intégrer les autres secteurs du prolétariat dans l'expérience révolutionnaire et de mener plus loin cette orientation. Si cela c'était produit, la collaboration aurait-elle eu lieu ? Garcia Oliver, c'est certain, s'attaque à tout et à tous. Ses critiques de Durruti, de Federica Montseny ou de Diego Abad de Santillan n'ont jamais été remises en cause par ces derniers auxquels naturellement nous faisons référence. D'autres militants confédéraux qui l'ont critiqué, pour la plupart des « anarcho bureaucrates » au service des comités toulousains, n'ont pas été à la hauteur de ce que l'on pouvait espérer d'eux. Une des raisons qui explique pourquoi Garcia Oliver a été la cible de certains militants qui l'on accusé de vouloir maintenir un pouvoir personnel aux dépens de la CNT, réside dans son refus de la politique « des comités » . Il est difficile de pardonner de telles choses à un homme d'action opposé à la bureaucratie. Finalement ce livre est une excellente radiographie des luttes sociales des années vingt et trente ;  il permet d'analyser et de réfléchir à l'histoire de la révolution espagnole et de la CNT racontée par un de ses principaux acteurs. On ne peut nier que cet écrit est teinté d'amertume et fait peu référence à la vie personnelle de l'auteur, peut-être pour ne pas apparaître aux yeux de tous comme un être de chair et de sang. Cependant non seulement « il nous raconte le passé mais  il nous le fait aussi revivre ; il décrit si bien le réel qu'il nous permet de l'imaginer ». Avec ce livre j'ai appris personnellement à analyser l'histoire révolutionnaire d'une façon distincte, différente.

Traduction Violette Alvarez-Marcos