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Du communisme libertaire au socialisme corporatif (Déambulation au sein de la CNT pendant la Guerre Civile...)

Par Gavroche le Sam,

Miguel - G. Gómez (@Blackspartak)

 

Illustration : Journal « Tierra y Libertad » du 10/04/1937

 

- version originale espagnole  : http://alasbarricadas.org/noticias/node/47085

 

- version en français téléchargeable pdf 

  

Avec cet article on prétend faire connaître le projet politico-économique suivi par la Confédération Nationale du Travail pendant la Guerre Civile Espagnole. Nous éviterons d’en faire une lecture qui utilise des mots fétiches comme « trahison des principes » ou « opportunisme » lesquels n’expliquent pas la réalité des processus internes et moins encore les virages stratégiques d’une organisation de masses.

Lorsque la CNT sort du Congrès de Saragosse en mai 1936, il semblait que les débats internes sur l’application de l’idéologie à la réalité espagnole concrète avaient été définitivement clos. Lors de ce congrès, le plus important, au niveau théorique, fût la Déclaration du Concept Confédéral du Communisme Libertaire. Dans ce document était tracée une ébauche de ce que devrait être une société régie par les principes anarchistes.

L’ambiance générale, au printemps 1936, était celle d’une forte contestation sociale à tous les niveaux et les esprits étaient certainement très exaltés. La possibilité d’une révolution n’était nullement une chimère. Les théoriciens de l’anarchisme, comme Christian Cornelissen, Isaac Puente, Valeriano Orobón Fernández ou Diego Abad de Santillán ébauchaient depuis des années des modèles de société communiste libertaire sans parvenir à tomber d’accord. A Saragosse on misa sur un modèle de communisme libertaire davantage fondé sur les idées d’Isaac Puente que sur celles des autres.

Les caractéristiques générales étaient l’abolition de la propriété privée et l’instauration de communes comme éléments fondamentaux de la nouvelle société. Au niveau industriel, chaque centre de production se doterait d’un conseil technico-administratif nommé en assemblée par le personnel de l’entreprise. Ils se coordonneraient avec d’autres centres au moyen des fédérations d’industrie, lesquelles, en 1936 étaient très peu développées. Dans la description, le rôle des syndicats n’est, dès lors, pas clair et il est sous-entendu qu’ils se dissoudraient dès que le communisme libertaire serait atteint.

Quelques secteurs, tels que l’enseignement, les transports, le bâtiment, entre autres, échapperaient à la planification industrielle générale et relèveraient des domaines locaux ou communaux.

L’échelon de base, comme on l’a dit, serait la commune laquelle devrait se confédérer territorialement en une Confédération Ibérique de Communes Autonomes Libertaires. Tel serait l’organisme qui se substituerait à l’État au niveau administratif. Les communes se chargeraient de régler les problèmes relatifs à la vie quotidienne de façon démocratique, de bas en haut, en prenant toujours en compte les intérêts des personnes concernées.

Quant à la distribution, le Congrès de Saragosse n’accepta pas le principe kropotkinien de « la prise sur le tas ». Il opta, en revanche, pour une charte du producteur et du consommateur lesquels devraient gérer les communes au moyen de bons d’achat. Il faut remarquer que la figure de la coopérative n’est pas même mentionnée.

A cette époque, le trentisme avait été muselé. Il s’inclina devant cette décision du mouvement syndical libertaire. Il soutenait également la proposition de la CNT d’entamer un rapprochement avec l’UGT pour constituer une alliance syndicale de type révolutionnaire. Pour les syndicats trentistes d’Opposition, l’important fût de réintégrer dans la centrale anarcho-syndicale.

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Tout ceci constitua la base théorique de la Révolution espagnole de 1936. Début juin, se produisit la grande vague d’occupations d’usines en France. Il fut alors envisagé que la révolution sociale puisse éclater dans ce pays. Mais, en fin de compte, elle eût lieu en Espagne à la suite de l’échec du soulèvement militaire fasciste sur une bonne partie du territoire.

Le grand dilemme qu’eurent à affronter les Confédéraux aux premiers jours de la guerre fut de savoir s’il fallait prendre le pouvoir, comme le proposait Joan García Oliver avec son «Tout pour le tout », ou s’il fallait établir un pacte antifasciste, comme le proposaient Federica Montseny et Mariano Vázquez. La proposition qui remporta le plus d’adhésions fut celle de Manuel Escorza laquelle assumait le pacte antifasciste en son versant public et formel, tandis que l’économie et les milices resteraient sous la contrôle des travailleurs. C’est-à-dire que l’on opta pour faire la révolution sociale tout en collaborant à la défaite du fascisme.

Cette décision fut prise en raison des difficultés de prévoir ce qui allait se passer dans d’autres territoires espagnols. Si en Catalogne la CNT était hégémonique et tenait le haut du pavé, dans d’autres zones de la Péninsule (car les îles étaient restées sous le contrôle des insurgés fascistes) la CNT ne se sentait pas en capacité d’imposer la révolution libertaire. Nous disons imposer, précisément parce que c’était ce que proposait García Oliver, ce qui aurait pu se faire en Catalogne, mais c’eût été une autre paire de manche que de le tenter à Madrid ou à Valence. Il faut également bien comprendre qu’en cette période on tenait la victoire militaire pour certaine. Ça valait le coup d’attendre.

Ainsi donc, ce fut le mouvement libertaire qui proposa au reste des forces antifascistes la création d’une nouvelle entité dénommée Comité Central des Milices Antifascistes laquelle prit, peu à peu, d’autres attributions au-delà des questions purement militaires : par exemple, la Commission des Industries de Guerre. Mais cet organisme n’était pas un double pouvoir, il se contentait d’être un doublon du pouvoir existant, la Generalitat, sans la remettre en question ni la menacer. Et, en outre, le mouvement anarcho-syndicaliste collabora avec la Generalitat pour gérer des espaces entiers de la société, tels que l’économie ou l’enseignement. C’est ainsi que se constituèrent, en août, aussi bien le Consell d’Economía de Catalunya que le Consell de l’Escola Nova Unificada, tous deux dirigés par des personnalités du mouvement libertaire. Et ajoutons à ceci que la CNT n’approuva formellement la participation au Gouvernement de la Generalitat qu’au Plénum Régional des Syndicats du 24 septembre. C’est-à-dire que l’anarcho-syndicalisme participait (et dirigeait) des portefeuilles de la Generalitat avant même d’appartenir formellement au Consell de la Generalitat.

Lors de cette première époque, le « bref été de l’anarchie », il y eût une multitude d’expropriations d’entreprise spontanément. De nombreux patrons avaient quitté le pays, en raison de leurs sympathies pour les putschistes et la crainte d’être arrêtés et exécutés par les masses ouvrières. Leurs entreprises se trouvant de facto sans direction, nombre d’entre elles furent tout simplement confisquées. Dans le Bulletin Officiel, le DOGC, la Generalitat elle-même acceptait ces collectivisations et acceptait, y compris, l’occupation des terres dont les propriétaires avaient disparus de la circulation. Telle fut, dans la pratique, l’origine d’une multitude de collectivisations de terres en Catalogne. Même les municipalités contrôlées par ERC acceptèrent cette situation sans gros problèmes.

En même temps, d’autres zones péninsulaires furent contaminées par la révolution sociale (jusque-là, dans une grande mesure, elle n’avait été que politique, en terme de rupture). S’il est vrai qu’en beaucoup de villages et nombre de villes industrielles valenciens les choses se déroulèrent pareillement qu’en Catalogne, en d’autres lieux la révolution fut impulsée de l’extérieur (Aragon) ou bien elle fut impulsée par une CNT minoritaire ainsi qu’une UGT radicalisée par la base (Asturies, Andalousie, Castille, Estrémadure ou Murcie). Dans tous les cas, la révolution était un fait si incontestable que presque toutes les organisations républicaines la soutenaient verbalement.

 

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Elles divergeaient sur le type de révolution. La révolution n’était pas la même selon Esquerra Republicana ou les marxistes du POUM, ni bien sûr selon les communistes soviétiques (lesquels parlaient aussi de Révolution Nationale). Mais le modèle majoritaire fut celui impulsé par la CNT. En bien des endroits où l’on collectivisait conjointement au nom de la CNT et de l’UGT, la formule qui était acceptée était celle de la première organisation.

Cette pluralité d’initiatives se devait d’être unifiée, systématisée d’une certaine façon. La CNT elle-même le reconnaissait et convoquait des plénums de syndicats très fréquemment pour arrêter des critères de fonctionnement, lever des malentendus et résoudre les conflits d’intérêts qui en découlaient. Le déluge d’adhésions était tel que bien des gens débarquaient sans rien connaître des principes, ni des résolutions antérieurement adoptées.

Pour mettre de l’ordre dans ce processus révolutionnaire, un grand pas fut le Decreto de Colectivizaciones y Control Obrero de Catalogne du 24 octobre [DOGC 28 Octubre 1936]. Il fut rédigé par Joan P. Fábregas et c’est un vrai modèle pour instaurer une transition vers un socialisme à base syndicale. En premier lieu, on régularise les entreprises déjà collectivisées qui auront un Consejo de Empresa. Si elles ne sont pas collectivisées et si la propriété est toujours privée, on constituera un Comité de Control Obrero. Seraient collectivisées toutes les entreprises dont les propriétaires auraient été déclarés factieux, toutes celles employant plus de cent travailleurs et celles, comprises entre 50 et 100, dont les trois quarts des travailleurs le décideraient en assemblée générale. Les autres ne seraient collectivisées que si le propriétaire en était d’accord.

Au sein du Consejo de Empresa seraient représentés les syndicats selon leur implantation et ils assumeraient la responsabilité de diriger l’entreprise. Des Consejos Generales de Industria existeraient dans toutes les branches avec la volonté de planifier la production. Pour faciliter l’organisation de ces Consejos Generales on acceptait la figure de l’Agrupación de Industrias. Des industries similaires pourraient s’unir selon la même formule juridique.

L’acceptation d’un intervenant de la Generalitat dans toutes les entreprises collectivisées peut être regardée comme un point polémique. Nous allons le voir de suite. Un autre facteur d’interventionnisme étatique pourrait se loger dans les Consejos de Industria eux-mêmes, lesquels devaient avoir 4 délégués des conseils des entreprises de cette branche, 8 pour les syndicats (en fonction du nombre d’adhérents) et 4 de la Generalitat nommés par le Conseil d’Économie lequel présiderait ce Conseil d’Industrie.

Nous disions que c’est un sujet polémique car tant que le Consell d’Economía fut dirigé par Joan P. Fábregas il y avait une nette orientation vers la socialisation. Pour autant, les représentants de la Generalitat y venaient aussi avec un même mandat, brisant tout isolationnisme et corporativisme ou surmontant les craintes et la paresse pour gérer les entreprises.

Mais tout changea le 17 décembre 1936, lorsque Fábregas fut démis par Tarradellas. Le nouveau Consell de la Generalitat le remplaça par Diego Abad de Santillán lequel ne partageait pas la même vision que Fábregas et ne réunissait pas non plus les mêmes compétences techniques pour ce poste. En outre, quelques semaines après, Tarradellas lança la batterie des 58 décrets de S’Agaró, modifiant substantiellement la nature financière et fiscale de la Catalogne. Les collectivisations resteraient assujetties à une espèce de capitalisme syndical contrôlé par le Generalitat, sans parvenir à la socialisation qui était l’objectif de la CNT. Dans un rapport de l’automne 1938, les confédéraux disaient que la Generalitat n’avait légalisé qu’une centaine des quelques 500 regroupements

d’entreprises qui existaient en Catalogne. Le boycott gouvernemental contre la révolution était manifeste.

 

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Au même moment, deux dynamiques apparemment contradictoires se produisaient. D’une part, une forte pression existait afin d’unifier les syndicats CNT et UGT en une même centrale. Au cours des mois de novembre et décembre, existèrent quelques syndicats locaux de branche appelés CNT-UGT, comme s’ils ne formaient qu’un seul. Toutefois, ce processus fut brusquement freiné durant l’hiver et les syndicats reprirent chacun leur chemin. D’autre part, l’autre processus consistait en l’extension de la révolution collectiviste sur de vastes territoires d’Aragon, de Valence ou de Castille, des endroits où, localement, l’anarchisme avait été marginal et où, maintenant, se constituaient sans cesse des collectivisations libertaires.

A la fin de février 1937, la CNT organisa un Plénum Régional de Syndicats de Catalogne. D’une part, la structure des Syndicats d’Industrie fut réorganisée, ce qui favorisa la réapparition des Fédérations d’Industrie. D’autre part, elle poursuivit sa politique de main tendue vers l’UGT laquelle faisait mine de ne pas comprendre. Il faut dire qu’en Catalogne l’UGT était dominée par le PSUC, de sorte que tendre la main à cette centrale ne pouvait prospérer, pas même en lançant des appel à sa base. En tout cas, on y opta, au plan général, pour socialiser l’économie le plus possible. Ce projet ne put être mené à bien qu’au niveau local dans quelques villes et, au niveau général, il fut très avancé dans la branche du Bois. Et dans une moitié de l’Aragon, bien entendu.

Mais la conjoncture politique n’était pas favorable à ces projets de restructuration économique. Les Événements de Mai 1937 provoquèrent un brutal arrêt de toutes ces avancées révolutionnaires. La CNT perdit même le portefeuille d’Économie de la Generalitat, Santillán étant remplacé par le stalinien Joan Comorera. La CNT de Catalogne réagit en se centralisant et en créant, en juillet, une Comisión Asesora Política qui gérerait, au jour le jour, les décisions de nature politico-stratégique.

En septembre eut lieu, à Valence, le très important Plénum National du Mouvement Libertaire. L’importance de ce Plénum réside dans le changement de ligne stratégique de la Confédération. Le contexte en est la défaite de Barcelone en mai, l’attaque contre les collectivités en Aragon en août, la présence de milliers de cénétistes dans les prisons républicaines et, en définitive, la constatation pessimiste que la CNT ne pouvait compter que sur ses seules forces et n’avait personne pour l’aider.

Et par « personne » y fallait y inclure l’AIT tout comme le mouvement libertaire international, au regard de leur taille réduite. C’est pourquoi, quelques mois après, fut créée SIA, Solidaridad Internacional Antifascista, dans le but d’élargir un peu cette base internationale de sympathisants.

Le Plénum accepta la réalité : il n’était pas possible d’imposer un seul modèle économique en Espagne et il faudrait donc coexister avec divers projets socio-économiques (républicains, libéraux, socialistes marxistes et coopérativistes). Il était proposé de créer un Consejo Técnico Asesor constitué par des représentants des organisations ouvrières, l’État et les municipalités. L’idée était que certaines branches de l’économie devaient être nationalisées ou d’autres municipalisées. On visait aussi un monopole sur le commerce extérieur, dans le lignée du projet initial de Fábregas de l’automne précédent. Un autre aspect était le coopérativisme conçu comme un lien nécessaire entre consommateur et producteur afin d’éviter la spéculation.

 

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Ce rapport issu du Plenum s’harmonisait avec la motion en commission acceptée lors du Plénum National de Régionales également tenu à Valence ce même mois. Une économie de guerre s’imposait et on y acceptait une sorte de fusion avec l’État. Ces décisions furent applaudies par d’autres forces politiques. La CNT était prête à changer sa ligne politique pour gagner la guerre. Pas toutes les autres organisations ne pouvaient en dire autant, en dépit de tout ce qui a pu s’écrire contre la CNT au motif qu’elle faisait la révolution, ce qui n’était, somme toute, rien moins que son projet historique.

En ce sens, nous voyons comment ce programme colle davantage avec la théorie ou proposition de Joan Peiró d’une République Fédérale Syndicale Ibérique. Il s’agit d’un fédéralisme non seulement sur une base territoriale mais aussi au niveau économique. Peiró acceptait qu’il y eût des territoires gérés dans les formes voulues par les socialistes ou les républicains à la condition qu’il y en eût d’autres pouvant être gérés selon les schémas de l’anarcho-syndicalisme.

Dans le Manuel du Militant de la CNT d’octobre 1937 on y défend ce modèle. Ils considéraient que la República Federal serait constituée par un parti républicain unique, un parti socialiste autoritaire unique, un parti libertaire unique et une association unique des travailleurs dans chaque localité. Chaque Conseil Municipal serait élu par suffrage. La moitié des sièges y seraient attribués aux partis et l’autre moitié à l’association des travailleurs. Le syndicat et la municipalité étaient les éléments fondamentaux de cette nouvelle société que le texte lui-même en vient à appeler « état syndicaliste ». On pourrait en déduire que le parti libertaire serait composé du Parti Syndicaliste et de la FAI, voire les autres entités libertaires existantes.

A ces éléments fondamentaux de la société, le Plénum de Valence ajoute la figure de la coopérative, mais nous voyons que l’esprit est également très approche du modèle de Peiró lorsqu’il reprenait les propositions du trentisme. Rappelons que ce courant tint un congrès en juin 1934 dont les débats allaient déjà dans cette direction. Quelques mois auparavant, Ángel Pestaña s’était démarqué du trentisme pour créer le Parti Syndicaliste, c’est pourquoi il resta en marge de tous ces débats et de la possibilité d’influer sur la ligne stratégique de la CNT, contrairement au rôle qu’aura finalement le trentisme.

L’étape suivante fut le Plénum National Élargi de nature économique, tenu en janvier 1938 à Valence. En matière économique, le plus important fut la restructuration des fédérations d’industrie et surtout la création − formellement le 15 février − du Consejo Económico Confederal, CEC. La CNT affirmait que devrait exister un Consejo de Economía au niveau de l’État espagnol à l’image de celui qui existait en Catalogne, mais vu que ni le Gouvernement de Negrín ni l’UGT n’avaient l’intention d’aller dans ce sens, le Mouvement Libertaire pour sa part le réaliserait pour son compte.

Ainsi donc, la CNT impulsa des Consejos Locales y Comarcales de Economía qui se fédèreraient au niveau Régional et ensuite se confédèreraient au sein du CEC. Ajoutons qu’à ces mêmes moments la CAP (Comisión Asesora Política) le Comité Ejecutivo del Movimiento Libertario, intervenant dans ce processus de centralisation.

 

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Sur proposition de Mariano Cardona Rosell, le CEC servait à mettre de l’ordre dans la grande quantité d’entreprises collectivisées, ateliers collectifs, industries socialisées, jardins potagers et champs, magasins, coopératives, syndicats agricoles ou initiatives économiques de toute sorte que contrôlait ou impulsait le Mouvement Libertaire. A cet instant, le mouvement constituait une véritable puissance économique. Les affaires les plus importantes auxquelles faisait face le CEC portaient sur : législation et arbitrages ; monnaie, crédit et prévisions ; exploitation des industries et des services ; matières premières et dérivés ; distribution et commerce extérieur, enfin. Chacune de ces thématiques possédait sa commission de travail. Chaque Régionale devrait posséder son propre CEC lequel se coordonnerait au niveau de l’État espagnol.

Ils tinrent une grande quantité de réunions et contrôlèrent d’innombrables ressources. Et leurs projets allaient bien au-delà de ces attributions. Par exemple, on remarque la proposition d’une Banca Sindical Ibérica. Il semble que ce projet n’ait jamais été mené à bien, mais il y eût plusieurs rapports allant dans ce sens. De nombreux projets collectivistes et coopérativistes avaient toujours soufferts d’une grande pénurie financière et un crédit monétaire aurait permis la consolidation d’importantes initiatives. Il fut également question d’une mutualité confédérale qui aurait été une espèce de « sécurité sociale » pour les adhérents de la Confédération.

La Banque Syndicale avait également été abordée au niveau ibérique, en y incluant l’UGT. Mais, comme nous l’avons vu, cette centrale ne fut jamais intéressée par des projets unitaires de nature révolutionnaire de sorte que tout ceci resta entre les mains (et sur les épaules) de la CNT. La Banque fut mieux abordée lors du Plénum National de Régionales d’août 1938, plénum qui porta sur la centralisation complète de l’économie Confédérale. Ainsi donc, pour qu’une entreprise locale puisse acheter un produit dans une autre localité qui se ne trouvât pas dans le même canton, elle devait passer par le Comité Regional de Economía lequel faisait office d’intermédiaire pour cet achat. S’il fallait acquérir un produit à l’étranger, alors ce serait le CEC lui-même qui se chargerait des transactions. On peut relever le danger bureaucratique de ces pratiques. Pour en revenir à la Banque Syndicale, il faut ajouter que la Régionale Centre mit en place une Caja de Compensación Confederal del Centro comme mesure préalable à la création de la Banque.

En août des démarches furent effectuées pour la création d’ Escuelas Técnico-Industriales afin de former des professionnels aptes à mener à bien cette tâche car dans de nombreuses localités on ne pouvait constituer des Conseils Locaux d’Économie par manque de militants ayant les aptitudes requises. Et, par mesure d’exception, on accéléra la formation des femmes à la production afin qu’elles puissent remplacer les hommes, lesquels étaient toujours plus nombreux à partir au Front. Ce dernier point fut expressément abordé par Mujeres Libres. Un autre rapport qui fut alors adopté concernait l’ « intensification » des coopératives de consommation.

D’autres sujets qui furent traités lors des plénums de 1938 concernaient la rétribution salariale familiale allant jusqu’à formuler une définition de ce qu’on entendait par « concept économique de la famille ». Il s’agissait de dissocier la production et l’individu, en rétribuant ce dernier en fonction de la nature de son travail, abstraction faite de sa famille et de ses besoins. La notion de famille englobait toutes les personnes vivant sous un même toit, sans obligation de lien de parenté. On constitua également une Comisión Técnico-Administrativa qui mit même à disposition du CEC des inspecteurs du travail afin de vérifier les conditions de travail de chaque site.

Nous pouvons conclure que le Mouvement Libertaire avait créé un nouvel organisme, le CEC, de nature économico-productive, déconnecté des syndicats. D’une certaine façon, la centrale syndicale CNT et tout le Mouvement Libertaire fonctionnaient selon une logique de gestion économique, se conduisant en authentique état syndical au sein de la République.

En définitive, la CNT de 1938 parvint à un socialisme corporatif ou « guildisme» (de l’anglais guild socialism ou socialisme de corporation, non pas au sens médiéval mais au sens de contrôle syndical) visant un contrôle de l’économie à travers une corporation syndicale pour chaque branche de production. Étant donné que la République espagnole fut défaite en 1939, on ne put observer un tel développement jusqu’à son terme. Dans l’après-guerre, la CNT tira un bilan qui l’amena a renier le virage de 1937 et elle retourna à sa ligne communiste libertaire de 1936 laquelle fut celle qu’elle défendit durant l’exil. La praxis cénétiste de 1938 tomba dans l’oubli, elle fut condamnée en tant que déviation produite par le contexte de la guerre et elle n’a pratiquement jamais fait l’objet d’études dans les milieux libertaires. Il faudrait beaucoup d’autres recherches sur ce sujet car il s’agit d’une expérience de planification de l’économie de première importance conduite, en outre, par des libertaires.

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D U COMMUNISME LIBERTAIRE AU SOCIALISME CORPORATIF (Déambulation au sein de la CNT pendant la Guerre Civile...)
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