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En Suède, été 1940, Garcia Oliver rencontre l'ambassadrice d'URSS, Alexandra Kollontaï - Dialogue n° 10 (le dernier de la série)

J. Garcia Oliver, conférencier
J. Garcia Oliver, conférencier

Été 1940. Indésirable en France où l’on lui signifia un refus de séjour, Juan Garcia Oliver est réfugié en Suède avec sa femme et son tout jeune fils.

Il cherche à gagner l’Amérique du Sud. Avec les Panzer nazis qui déferlent tout autour, une seule voie de transit s’offre à lui : traverser l’Union soviétique, embarquer depuis Vladivostok jusqu’aux États-Unis et enfin gagner le Mexique.

Il a rendez-vous à l’ambassade d’URSS pour organiser son périple à travers ce pays. C’est Alexandra Kollontaï, l’ambassadrice qui le reçoit... en haut d’un escalier...

 

Fru Kollontai, comme on l’appelait en Suède, était une ancienne révolutionnaire marxiste, et depuis ses débuts dans les luttes sociales elle s’était maintenue dans les rangs des socialistes révolutionnaires, qui furent toujours pourvus de femmes enthousiastes.

Elle jouissait d’un grand prestige au sein du Parti communiste soviétique. Mais elle était soupçonnée d’être plus près de l’opposition que de Staline, c’est pourquoi on la maintenait éloignée dans des ambassades.

C’était une femme intelligente et cultivée. Elle ne fit aucune allusion à ma filiation anarchiste. Elle me dit seulement qu’elle était très flattée de saluer celui qui avait été membre du gouvernement de la République espagnole en même temps que grand combattant révolutionnaire.

- Je suis chargée, me dit-elle de vous saluer de la part de mon gouvernement, et comme il s’agit d’un long voyage à travers l’Union soviétique, de vous donner l’assurance que, dans le cas d’une quelconque situation de conflit qui pourrait se présenter, les « amis » seront toujours disposés à vous aider.

Je la remerciai chaleureusement, et la priai de transmettre mes remerciements à son gouvernement. Je fus sur le point de lui demander des explications sur la manière d’entrer en contact avec les « amis », mais je me contins, car je supposai que c’était une simple formule de courtoisie.

Elle me demanda le passeport pour ordonner qu’on lui rajoute le visa de transit.

Comme je disposais du diplomatique et du Framlingpass, je lui demandai lequel serait préférable.

- N’importe lequel. L’Union soviétique reconnaît encore la République espagnole. Toutefois -dit-elle- peut-être le Framlingpass vous conviendrait mieux... Mais on tamponnera les deux et vous, vous choisirez celui que vous voudrez.

- Je ne saurais comment vous remercier, Fru Kollontai.

- Voyez-vous, camarade, j’ai pour mission de m’intéresser à vos problèmes. C’est pourquoi vous m’excuserez si je vous demande comment vous pensez quitter l’Union soviétique. Enfin, pourquoi vous voulez le visa de transit.

- J’ai l’intention d’aller à Vladivostok, d’où, semble-t-il, on peut s’embarquer pour l’Amérique.

- Voilà le problème. Depuis Vladivostok, tous ceux qui vont en Amérique, du Nord ou du Sud, se rendent au Japon, où il y a des lignes de vapeurs pour le monde entier. Mais vous, camarade, je crois que vous ne devez pas prendre le risque d’aller au Japon, d’où l’on pourrait accorder votre extradition vers l’Espagne de Franco.

- Si ce n’est par le Japon, Fru Kollontai, par où pourrais-je aller en Amérique depuis Vladivostok ?

- Écoutez-moi bien. Le gouvernement soviétique a un contrat avec certains bateaux de la Johnson’s Line, une compagnie suédoise. Ces bateaux, qui arrivent et partent de Vladivostok, vont aux États-Unis, parfois directement, parfois via les Philippines. Mais le contrat que nous avons passé avec elle interdit à la Johnson’s Line d’admettre de passagers, sauf ceux autorisés par l’Union soviétique. Je vous conseille de vous adresser au bureau de la Johnson’s Line et de demander un billet de Vladivostok pour les États-Unis sur n’importe lequel de ses bateaux, dans le premier qui partira après votre arrivée au port. Vous pouvez leur dire que vous êtes autorisé par le gouvernement Soviétique, et que, en cas de doute, ils m’appellent par téléphone.

- Je vois que les « amis » auxquels vous avez fait allusion ont pensé à tout. Saviez-vous que, en tant qu’anarchiste, je me suis opposé aux communistes en Espagne ?

- De vous, camarade García Oliver, nous savons tout. Et vous êtes le bienvenu parmi nous. Faites un bon voyage, me dit-elle, en me remettant les deux passeports tamponnés.

- Merci beaucoup, Fru Kollontai, à vous et au gouvernement soviétique.

Elle m’avait reçu, debout, en haut de l’escalier. Et debout, au même endroit, elle prit congé, avec un sourire qui embellissait son visage.