1. Le coup d'État fasciste

Le coup d'état fasciste et les faits révolutionnaires

Avant le soulèvement du 17 juillet, le climat de guerre était déjà latent.

Les centrales syndicales CNT et UGT déclarèrent la grève générale dans toute l'Espagne en réponse au soulèvement. Le lendemain, le gouvernement de Casares Quiroga démissionna, arriva le gouvernement éclair de Martinez Barrio qui, inspiré par Azaña, échoua dans sa tentative de négociation avec les factieux. Le matin du 19 juillet, Azaña chargeait Giral de former un nouveau gouvernement. Celui qui était jusqu'alors Ministre de la Marine allait être le premier à se rendre à l'évidence et à accepter de distribuer des armes aux organisations du Front Populaire, les syndicats.

Cependant on avait perdu des heures précieuses et l'Espagne se trouvait divisée en deux zones. Et aussi, à mesure que les garnisons militaires se joignaient au soulèvement ou étaient maîtrisées par les travailleurs, le processus de désintégration gagnait l’État Républicain.

Par ailleurs, la réticence de certains gouverneurs civils à favoriser une résistance populaire sera décisive pour que triomphe le soulèvement, c'est le cas de Saragosse. Saragosse tombe du côté nationaliste sans avoir pu combattre, fait décisif pour le destin de la République puisqu'il déterminera dès le départ le sort du nord de l’Espagne.

L'évolution de la situation à Madrid et à Barcelone rendit possible la résistance de la zone républicaine. Dans la capitale de la République, la présence des organisations ouvrières empêcha les forces militaires fascistes d’entrées dans Madrid. A Barcelone, la riposte de la FAI et de l' anarcho-syndicalisme fut particulièrement énergique. Au soir du 18 juillet, Durruti lancera à Companys : « A partir de maintenant la CNT et la FAI prendront la direction du combat ».

A la fin de la nuit du 20 juillet, les choses étaient claires dans la péninsule : soit les militaires étaient vainqueurs et les zones qu'ils contrôlaient subissaient la plus féroce des terreurs blanches, soit le soulèvement militaire avait échoué et du même coup les autorités républicaines avaient été balayées par l'élan populaire.

 

La socialisation de l'industrie

En Catalogne, Companys, Président de la Generalitat, recevait les anarcho-syndicalistes pour leur dire que la CNT et la FAI n'avaient pas été traitées comme elles le méritaient. Immédiatement, les syndicats entreprirent la socialisation des industries de plusieurs centaines de travailleurs, laissant les autres libres de décider la socialisation ou un simple contrôle ouvrier. Les syndicats réorganisèrent des industries entières et favorisèrent la concentration dans la métallurgie, le textile et la chimie. Une industrie de l'armement se crée et se développe en Catalogne. Les services publiques généraux et les transports furent socialisés.

La socialisation s'est étendue aussi au reste de l'Espagne républicaine mais dans une moindre mesure.Les collectivisations agricoles étaient rares en Catalogne, qui se caractérise par la petite propriété.

En octobre 1936 se tint à Barcelone un congrès syndical représentant plus de six cents mille travailleurs, dont l'objet était d'étudier la socialisation de l'industrie. Les usines socialisées ou en autogestion avaient à leur tête un Comité de cinq à quinze membres nommés pour deux ans par les travailleurs et auxquels il rendait des comptes en assemblée générale. Les membres du Comité touchaient le salaire normal d'un ouvrier. Les chefs d'entreprise pour leur part devinrent des techniciens, avec ce même salaire. Le 16 octobre 1936, le gouvernement catalan promulguait un décret dans lequel il institutionnalisait cette décision mais y ajoutait un contrôle du gouvernement. C'était la première réaction – même si très faible - de l’État face au fait avéré de la révolution sociale. Ce processus lent mais inexorable de récupération des prérogatives de l’État commença en septembre 1936 avec le gouvernement de Largo Caballero.

Quand le 7 octobre le communiste Uribe, ministre de l'Agriculture, promulgua son décret sur les collectivisations, l'autogestion paysanne était une réalité : il existe déjà plus de quatre cents en Aragon et autant en Pays Valencien. Il s'en forma près de trois cents dans la région Centre ( région de Madrid) avec en tout cent mille adhérents. Et à Madrid le syndicat Interco de la CNT collectivisait les rives du Manzanares dans le secteur appelé la « Chine ».

 

La confédération révolutionnaire

Au niveau politique, à Barcelone, le pouvoir était exercé par le Comité Central des Milices Antifascistes dans lequel la FAI et la CNT étaient largement prépondérantes ; à Valence, les partis et organisations du Front Populaire avaient constitué avec les anarchistes un Comité exécutif. En septembre 1936 se forme le Conseil d'Aragon, sous l'impulsion des milices anarchistes qui dominaient la région. A Bilbao, le 17 août se constitua la Junte de Défense de Vizcaya, qui se maintiendra jusqu'à l'approbation par les Cortes, au mois d'octobre, du statut d'Autonomie. Puis le Conseil Régional des Asturies entra en action et, après le transfert du Gouvernement à Valence, il fut créé à Madrid une Junte de Défense. Cette mosaïque de pouvoirs était appelée la Confédération Républicaine Révolutionnaire de 1936-37.

Pendant les premiers mois de guerre, l’inercis et le manque d'imagination de la bureaucratie gouvernementale était un vrai souci pour les libertaires. Elles rendirent impossible le succès de l'attaque de Téruel et la prise d'assaut de Saragosse qui devait en découler. La colonne confédérée du Rosal, sous le commandement de Cipriano Mera, arriva jusqu'aux montagnes d'Albarracin mais le renfort de combattants du Levant n'arriva pas, ce qui permit aux nationalistes de consolider leur position dans la capitale de l'Aragon. Mais attendre c'était perdre la guerre et du même coup la révolution.

Buenaventura Durruti, pendant une action de reforcement de stabilisation du front d'Aragon, auxquelles l'obligeait le sabotage mené par la bureaucratie de l'appareil gouvernemental, disait à ses hommes : « Notre victoire dépend de la rapidité de nos actes, plus notre attaque sera rapide, plus nous aurons de chances de vaincre.

L'ennemi s'appuie sur l'aide de l'Italie et de l'Allemagne. Si nous laissons ces puissances entrer pleinement dans notre guerre, il nous sera très difficile de vaincre parce qu'alors l'ennemi disposera de matériel supérieur au notre. Aucun gouvernement au monde n'apportera son aide à une révolution prolétarienne ; peut être que les rivalités entre les impérialismes pourraient servir notre cause. Mais définitivement, je n'attends aucune aide, ni même de la part de notre gouvernement ».

 

La récupération par l'État

Finalement le système sut comment récupérer les potentialités révolutionnaires du Mouvement Libertaire. Lorsqu'il forma son gouvernement le 4 septembre 1936, Largo Caballero demanda à la CNT-FAI d'en faire partie. Dans un premier temps les libertaires refusèrent mais peu à peu les hésitations prirent le pas sur les scrupules.

Il n'y avait que quatre mois -mai 1936- que la CNT avait tenu son Congrès à Saragosse, CNT, FAI et Jeunesses Libertaires, avaient quitté le Congrès convaincus de leur rôle révolutionnaire et avec pour objectif l'implantation du communisme libertaire. Lors du courrier adressée par le Comité Péninsulaire au Comité Régional des Groupes Anarchistes d'Aragon, Rioja et Navarre datée du 23 novembre 1933, confirment et illustrent cet esprit : « Vous connaissez les résultats (des élections de 1933), l'abstention était un fait. Le peuple a prouvé une fois de plus qu'il est du côté de notre organisation et de la CNT. Ces moments sont essentiels donc. Notre mission, vous la connaissez et nous ne doutons pas que vous serez prêts pour la révolution le moment venu. La gravité de la situation créée dans le pays avec le triomphe des droites le demande. »

Trois mois plus tard, dans l'ardeur de la lutte, le mouvement libertaire comprit l'énormité du problème qui l'attendait : que faire avec la présence active des autres groupes politiques et syndicaux ? Les libertaires étaient sûrs d'une chose et pour commencer, ils refusèrent toute possibilité de dictature anarchiste. Mais alors se présentait déjà subrepticement l'inévitable alternative de la collaboration avec toutes ses conséquences. En outre, avant de répondre à la proposition de Largo Caballero, la CNT entra dans le gouvernement de la Generalitat de Catalogne. Cette décision fut prise dans une assemblée plénière des trois branches du mouvement libertaire de Catalogne, les résolutions furent gardées secrètes. Suivit une Plénière Régionale de la CNT de Catalogne et le 27 septembre, la presse annonçait la participation de la CNT à la Generalitat. Les trois Conseillers de l'organisation étaient Juan P. Fabregas, Juan J. Domenech et Garcia Birlàn. Ce même mois de septembre, deux Plénières Nationales examinèrent et acceptèrent finalement la proposition de Largo Caballero.

 

La participation à l'exécutif

La Plénière du 15 élabora un projet de reconstruction de l’État en un organisme « compétent pour assumer les fonctions de direction dans le domaine économique ».

Cet organisme ne s'appellerait pas gouvernement mais Conseil National de Défense. L'armée deviendrait les Milices de Guerre, la Police, les Milices Populaires et les chefs militaires seraient des Techniciens militaires. De plus, les syndicalistes auraient l'usufruit des moyens de production et la libre expérimentation populaire révolutionnaire dans le domaine économique serait officialisée. On envisageait aussi la socialisation de la Banque et des biens de l’Église, des grands propriétaires fonciers, de la grande industrie et du commerce.

Ces accords furent soumis à l'UGT comme base du programme de l'Alliance Syndicale. Après une vacance de dix jours, l'UGT et Largo Caballero refusèrent le projet, prévoyant que la capitulation allait arriver d'un moment à l'autre. Le 4 octobre 1936, après des tentatives infructueuses, la CNT accepta de participer au gouvernement central. Furent désignés Federica Montseny et Garcia Oliver, de la FAI, Juan Piero et Juan Lopez, pour occuper respectivement les ministères de la Santé, la Justice, L'Industrie et le Commerce. L'influence révolutionnaire du Mouvement libertaire et de la CNT commença à décliner. La FAI essayait de rester en marge de cette situation, l'opinion étant qu'elle ne devait pas participer en tant que telle aux gouvernements mais qu'il était permis de le faire à titre personnel. En effet, Garcia Birlan de la FAI représentait la CNT au Conseil de la Santé, Abad de Santillan au Conseil de l’Économie, Aurelio Fernandez était chef de la police et Garcia Oliver chef du département de la Défense après le colonel Diaz Sandino.

La CNT-FAI faisait face à un problème qu'elle ne pouvait pas résoudre à son avantage. C'est le cas de la militarisation des milices voulue par Largo Caballero, ou des affrontements qui se produiraient tout au long de la guerre entre les anarchistes et la nouvelle force montante de la République, les communistes.

Déjà en mars 1937, le conseiller à la Sécurité Intérieure de la Generalitat, Ayguadé, de Esquerra Republicana mais soupçonné d'être un militant communiste, dicta plusieurs décrets dissolvant ce même Conseil de Sécurité Intérieur, les Conseils d'Ouvriers et Soldats, et les Patrouilles de Contrôle. Même s'il fit marche arrière par la suite, on voyait s'affronter là deux conceptions diamétralement opposées de l'orientation et de l'organisation politique de l'arrière garde.

Manuel Gallego Vallecillo, de la FAI et membre du Conseil National de Sécurité, organisme décisionnel qui, d'une certaine façon réduisait l'autorité du Ministère de l'Intérieur, se plaignait dans son rapport « Mon action au Conseil National de Sécurité » du « manque d'attention du ministre Angel Galarza » et ajoute que « pour cette raison, malgré cinq longs mois de fonctionnement du Conseil, on n'a pas pu former le Corps Unique de Sécurité». Ce rapport comme les comptes rendus des réunions de ce Conseil confirme l'impression de « boycott ». D'où le diagnostic de Gallego « j'en déduis que le ministre ne voulait pas nous donner ces fonctions parce que ce décret est très populaire mais qu'il l'a accepté par ruse, pour contrôler plus efficacement les masses, et avec l'intention que ce Conseil n'entrerait jamais en fonction ».

Le 25 avril 1936, Roldan Ortada, militant du PSUC, est assassiné, apparemment en tant qu'anarchiste. Plusieurs d'entre eux sont arrêtés et, bien que rien ne puisse être prouvé, cet assassina leur est attribué. La réaction populaire est impressionnante. Des membres de la CNT participent à la manifestation. Les incidents se succèdent et, quelques jours plus tard, trois militants de la CNT meurent à Puigcerda.

Dès le mois de mai 1937, les forces publiques effectuent des perquisitions et des arrestations dans les rues de Barcelone, avec l'arrestation de nombreux militants de la CNT. Dans son numéro du 2 mai, « Solidaridad Obrera » avertit de l'imminence d'événements graves et proclame le mot d'ordre selon lequel personne ne doit se laisser confisquer ses armes sous aucun prétexte. La lutte pour le contrôle des rues se fait déjà dans le sang et le feu.

Les fameuses « Journées catalanes de mai 37 » viennent de commencer.

 

"L'EXPLOSION

Peuple de Catalogne ! Alerte et aux armes, il est l'heure d'agir !

Nous avons passé des mois et des mois à faire la critique du fascisme, à signaler ses vices, à lancer des consignes concrètes pour que le peuple se lève en armes au moment où la noire réaction d'Espagne tenterait d'imposer son écœurante dictature.

Ce moment est arrivé, peuple de Catalogne. Les réactionnaires, militaires, civils, curés, haute finance, fraternellement unis, ont entrepris le soulèvement visant à implanter le fascisme en Espagne par le moyen d'une dictature militaire. Nous, représentants incontestés de la CNT en Catalogne, cohérents avec notre parcours révolutionnaire antifasciste par excellence, nous ne pouvons hésiter dans ces moments graves, moments de l'action. La CNT de Catalogne lance la consigne concrète et décisive que nous devons tous relayer la grève générale révolutionnaire dès l'instant précis où quelqu'un se soulève en Catalogne... Que dans ces moments de mobilisation contre l'ennemi commun, chacun occupe son poste au combat... Celui qui s'y soustrait est un traître à la cause ! Vive le communisme libertaire ! Contre le fascisme, la grève générale révolutionnaire !"

Le Comité Régional de la CNT ( Solidaridad Obrera, 19 juillet 1936)